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Les géants de l'immobilier s'allient pour limiter les déchets du btp

Créer une filière pour réutiliser les matériaux de construction au lieu de les jeter : c'est la solution proposée par plusieurs grands maîtres d'ouvrage réunis au sein du booster du réemploi.

une entreprise veut changer la couleur de la moquette en arrivant dans ses nouveaux bureaux ? hop ! a la benne, les dalles presque neuves qui avaient été posées l'année dernière. un maître d'oeuvre précautionneux a commandé des cloisons en trop ? elles connaîtront le même sort à la fin du chantier, au lieu d'être réutilisées sur un autre projet. ce phénomène alimente les 42 millions de tonnes de déchets produits chaque année par le secteur du bâtiment, soit plus que les ordures ménagères jetées par les particuliers. en encourageant la production de matériaux neufs plutôt que la réutilisation de ceux en bon état, ce gâchis grève aussi le bilan carbone déjà peu reluisant du secteur (26 % des émissions de co2 de la france). les pouvoirs publics commencent à agir : deux nouvelles réglementations en cours d'élaboration, la rep bâtiment et la re2020, devraient encourager la filière du réemploi selon des modalités qui restent à déterminer.quelques nouveaux acteurs se sont également attaquées au problème : des start-up comme cycle-up, remix ou backacia ont mis en place des plateformes pour que entreprises puissent vendre à d'autres les matériaux qu'elles n'ont pas utilisés sur leurs chantiers. mais tous pointent le même problème : les produits sont disponibles mais la demande peine à suivre. la filière reste donc marginale : moins de 1 % des matériaux de chantiers sont réemployés. tout l'enjeu consiste donc à structurer cette demande atomisée en mobilisant les grands maîtres d'ouvrage.

450 chantiers tests en trois ans

jusqu'à présent, deux problèmes majeurs subsistaient. « tout d'abord, le processus opérationnel des chantiers n'est pas du tout fait pour accueillir simplement l'économie circulaire, explique cédric borel, directeur de l'institut français de la performance du bâtiment (ipfeb) et de l'association a4mt. les bureaux de contrôle, les maîtres d'ouvrage ou encore les assureurs sont habitués au zéro-risque, à l'achat de matériaux neufs. cela prend beaucoup moins de temps car il n'y a pas de vérification à faire. » en outre, « utiliser des matériaux de réemploi demande une certaine logistique. il faut d'abord les entreposer soigneusement, ce qui coûte de l'argent. si les entreprises ne sont pas sûres de trouver un repreneur, elles ne vont pas les garder longtemps. »

fin 2019, groupama immobilier décide de mettre fin à cet état de fait. accompagnés par l'accélérateur techstars, « ils font un état des lieux et décident de gravir l'everest par la face nord, indique cédric borel, en s'attaquant à la massification de la demande en matériau de réemploi dans l'exécution courante des grands chantiers. » l'idée séduit une trentaine de maîtres d'ouvrage, et non des moindres : altarea, bnp paribas real estate, bouygues immobilier, crédit agricole immobilier, sans oublier gecina, cogedim, engie, orange... ils représentent deux millions de mètres carrés bâtis chaque année en france. le booster du réemploi, piloté par l'ipfeb et a4mt, est officiellement lancé lors du mipim urban forum de paris en septembre 2020. seul regret pour le moment : l'absence de décideurs publics. mais selon cédric borel, plusieurs d'entre eux, dont des bailleurs sociaux, se montrent intéressés par l'initiative. pour entrer dans le booster et avoir accès aux services proposés, les membres doivent s'acquitter d'un abonnement de 20.000 € et s'engager sur cinq projets par an. leur objectif : simplifier la démarche du réemploi, pour réussir à intégrer 5 % de matériaux d'occasion dans la réalisation de 450 chantiers en trois ans.

une plateforme en ligne pour faire connaître les besoins

le booster du réemploi propose un accompagnement des maîtres d'ouvrage qui souhaitent utiliser des matériaux de réemploi sur leurs projets. une cellule innovation, réunissant les architectes, bureaux de contrôle, les assureurs et les constructeurs est chargée d'établir des cahiers des charges uniques pour chaque type de produits réutilisés afin de simplifier et standardiser leur emploi sur les projets. « nous avons fait un tri très technique pour établir un catalogue de matériaux modulables, facilement déplaçables ou entreposables, qui puisse rassurer tout le monde », explique cédric borel. jusqu'à présent, une dizaine de produits sont concernés : faux plafonds, faux planchers, sanitaires, mobilier, parquet, moquette, cloisons démontables, luminaires..., auxquels devraient bientôt se joindre les tableaux électriques et la serrurerie. seuls ces matériaux dits de « second oeuvre » - qui sont utilisés à l'intérieur du bâtiment - sont pour l'instant classés comme réemployables, soit environ 10 millions de tonnes de déchets potentiels par an. une booster session réunit chaque mois les maîtres d'ouvrage pour croiser les retours d'expérience et faire circuler les informations, tandis qu'une autre cellule étudie l'aspect logistique : transport, entreposage...

entre janvier et mars 2021, le booster du réemploi a également lancé une plateforme numérique en ligne, looping, afin de réunir les demandes de ses membres en un seul endroit et les rendre ainsi plus visibles. un maître d'oeuvre peut, par exemple, y indiquer de quels matériaux il a besoin et pour quelle période. « nous travaillons en étroite collaboration avec la cinquantaine de plateformes existantes qui fournissent des matériaux de réemploi, comme backacia, tricyle environnement, moebius ou cycle-up, pour leur faire passer cette demande, indique cédric borel, notre objectif n'est pas de les concurrencer, nous ne sommes par une marketplace. nous voulons rendre simple et prévisible le marché du réemploi. » pour le moment, une dizaine de demandes seulement ont déjà été postées en ligne, car beaucoup de chantiers sont encore à l'étude.

67 de tonnes de co2 évités pour 1.000 m2

depuis son lancement, 93 projets ont été initiés au sein du booster du réemploi, représentant environ1 million demètres carrés. parmi ces chantiers, il y a par exemple l'opération métal 57 visant à étendre le siège de bnp paribas real estate à boulogne-billancourt, ou la rénovation de l'ancien consulat de chine par groupama immobilier. « gecina, pour le projet l1ve, avenue de la grande-armée à paris, a réussi à éviter 80 tonnes de déchets en réutilisant certains éléments de gros oeuvres de la façade pour faire des dalles de béton dans le parking », s'enthousiasme cédric borel. certes, le directeur de l'ifpeb concède qu'il ne peut affirmer à ce stade que le réemploi des matériaux constitue un gain économique pour les maîtres d'ouvrage, en comptant la pose, le stockage... mais l'impact environnemental est lui très positif.

l'ifpeb et le centre scientifique et technique du bâtiment ont calculé que 1.000 m2 de réemploi permettraient d'économiser 44 tonnes de déchets, 67 tonnes d'équivalent co2 et plus d'un million de litres d'eau. pour autant, cédric borel refuse de donner un objectif chiffré en termes de bilan carbone pour le booster du réemploi. « cela n'est pas notre but premier, indique-t-il. nous voulons avant toute chose, durant ces trois ans, développer de manière pérenne la pratique du réemploi afin qu'elle devienne une technique courante sur les chantiers, et non plus une exception. » en réunissant start-up et grands groupes, offre et demande, le booster du réemploi peut être à l'origine d'un puissant mouvement de fond, en mesure de bouleverser les pratiques de l'une des filières les plus polluantes de france, et la sevrer de son addiction à l'économie linéaire.

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