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Crise du logement : comment les villes touristiques tentent de réguler l'essor des locations saisonnières

Crise du logement : comment les villes touristiques tentent de réguler l'essor des locations saisonnières
Face à la pénurie de logements et à la hausse des prix sur le marché immobilier, le boom des locations touristiques est dans le viseur des municipalités. Un nombre croissant d'entre elles ont durci les règles pour encadrer cette pratique.

"Dans le centre-ville de Saint-Malo, les familles avec des enfants ont plus de difficulté à se loger, et les commerces de proximité font place à des magasins de souvenirs ou à des biscuiteries", se désole Franck Rolland. Pour le cofondateur du collectif "Saint-Malo, j'y vis, j'y reste", la "transformation" de la ville balnéaire bretonne tient à l'explosion des locations de meublés touristiques sur les plateformes comme Airbnb, Abritel ou Booking. Sur les dix dernières années, le nombre d'offres de location de courte durée a été multiplié par dix dans la cité d'Ille-et-Vilaine, passant de 300 à 3 000, assure-t-il.

Dans les communes touristiques, les locations saisonnières sont accusées par les municipalités de réduire l'offre de logements pour les résidents et de participer à chasser les plus modestes d'entre eux en dehors des centres-villes. A Annecy (Haute-Savoie), où "plus de 60% des meublés de tourisme se situent dans la vieille ville", les habitants font face à une "pénurie de logements" et à "des loyers qui explosent", déplore Sophie Garcia, conseillère municipale déléguée au logement abordable. Sous l'effet de la raréfaction d'appartements à louer à l'année, "on se retrouve à plus de 1 000 euros par mois pour un appartement de 45 m²", observe l'élue. Au Pays basque, où le nombre de meublés touristiques a bondi ces dernières années, les prix de l'immobilier ont augmenté d'environ 30% entre fin 2018 et fin 2022, rapporte France 3 Nouvelle Aquitaine.

"A Saint-Malo, des couples peinent à se loger alors qu'ils ont 4 000 à 5 000 euros de revenus."

Franck Rolland, cofondateur du collectif "Saint-Malo, j'y vis, j'y reste" à franceinfo
Un rapport parlementaire, publié en avril, confirme qu'il est "évident que le développement, parfois excessif, des locations meublées touristiques (...) a pu avoir un effet préjudiciable sur la disponibilité des logements sur le marché privé, participant également à la hausse de la valeur des biens". Les auteurs rappellent cependant que cet essor ne peut expliquer à lui seul la crise du logement actuelle, dont les causes sont "multiples".

Des quotas à Annecy et Saint-Malo
Pour tenter de contenir le phénomène, de nombreuses villes ont durci les règles, principalement à l'égard des propriétaires qui proposent toute l'année sur les plateformes de locations de courte durée des logements qu'ils n'occupent pas. A Paris, Annecy, Bordeaux ou encore Lyon, les bailleurs qui souhaitent louer leur bien plus de quatre mois par an doivent préalablement demander à la mairie une autorisation de changement d'usage, de logement à meublé de tourisme, expose le site Service public.

Dans la capitale, cette approbation est conditionnée à un mécanisme de "compensation par mètres carrés". Depuis 2015, pour chaque logement transformé en location saisonnière, le bailleur s'engage à transformer une surface au moins équivalente de bureaux ou de commerce en logement d'habitation loué à l'année. Dans les zones les plus touristiques de la ville, une compensation au double, voire au triple, de mètres carrés peut être exigée. D'autres destinations touristiques ont depuis adopté des réglementations similaires, à l'image de Strasbourg et, tout récemment, de 24 communes du Pays basque.

Annecy vient de son côté d'opter pour l'instauration de quotas. La municipalité entend limiter à 2 200 le nombre de résidences secondaires louées à des touristes, selon un découpage en plusieurs secteurs. "Dans la vieille ville, on souhaite baisser de 40% le nombre de meublés de tourisme existants", explique Sophie Garcia. Seules 478 autorisations pourront être délivrées dans cette zone. Une seule autorisation par personne pourra être remise, pour une durée de cinq ans.

"La cible, ce sont les multipropriétaires, ceux qui ont cinq ou six appartements qu'ils pourraient mettre sur le marché des logements à l'année pour les travailleurs, les étudiants, etc."

Sophie Garcia, conseillère municipale à Annecy à franceinfo
La mesure n'est pas au goût de tous. Dans un communiqué, l'Union nationale pour la promotion de la location de vacances, qui réunit la plupart des plateformes de réservation dont Airbnb, y voit un dispositif "attentatoire au droit de propriété" qui risque d'entraîner "des inégalités contestables entre les propriétaires". La communauté d'agglomération "fait face à 108 recours lancés par les représentants des multipropriétaires et des conciergeries", selon Sophie Garcia. Pour l'heure, l'entrée en vigueur de ces quotas, qui devait intervenir le 1er juin, est suspendue.

A Saint-Malo, première ville de France à avoir mis en place des quotas, la décision a également suscité une levée de boucliers. En 2021, la mairie avait restreint le nombre de meublés touristiques à 12,5% des logements dans la ville, et à 7,5% près du littoral. "Nous avons un recours de propriétaires de locations saisonnières devant le tribunal, il faut que nous passions cette étape avant de lancer des contrôles réguliers", a reconnu le maire, Gilles Lurton (LR), auprès du Monde. Difficile donc de juger l'efficacité de ces quotas. "Si la réglementation, avec les contrôles et les sanctions, était pleinement appliquée, cela permettrait d'accueillir entre 1 000 et 1 500 habitants en deux ans", veut croire Franck Rolland.

"Lutter contre le sur-tourisme"
De son côté, la mairie de Paris a récemment voté un nouveau tour de vis dans le cadre de son plan local d'urbanisme (PLU), qui doit être soumis à enquête publique en vue d'une adoption définitive d'ici à la fin de l'année. La Ville compte "interdire totalement la création de nouvelles locations de logements sur des plateformes de location touristique dans certains quartiers, comme le Marais, les abords de la tour Eiffel ou Montmartre", résume Ian Brossat, maire adjoint chargé du logement. La mesure ciblera la "location professionnelle" de meublés touristiques, mais ne s'appliquera pas aux particuliers qui louent occasionnellement leur résidence principale pour "mettre du beurre dans les épinards", assure l'élu communiste.

Pas question non plus de rayer de la carte toutes les locations saisonnières. Les communes défendent un "équilibre" entre l'accueil des touristes et le logement des résidents. "On est pour le tourisme, mais on essaye de lutter contre le sur-tourisme qui se fait au détriment des habitants", résume Sophie Garcia. En plus de contribuer à l'offre touristique, les locations sur les plateformes représentent aussi une source financière non négligeable. En 2022, Airbnb assure avoir reversé 148 millions d'euros de taxe de séjour aux communes françaises, dont 24,3 millions d'euros à Paris, 2,8 millions à Marseille ou encore 1,1 million à Annecy. "On nous dit que la taxe de séjour rapporte, mais quel impact économique sur le territoire aurait une famille avec deux enfants installée à l'année ?" interroge toutefois Franck Rolland.

Une niche fiscale contestée
Les mesures locales peuvent-elles suffire à faire cohabiter vacanciers et résidents dans les zones touristiques ? "Pour l'instant, chaque commune essaye d'élaborer son règlement", observe Sophie Garcia, "mais il faut aussi des règles nationales". "Les élus locaux ont une volonté d'agir, quelles que soient leurs étiquettes politiques, mais ils sont en manque d'outils", confirme Franck Rolland, qui a contribué au lancement au printemps du collectif national citoyen pour la régulation des locations de courte durée. Cette coordination, qui regroupe une vingtaine de collectifs locaux, propose notamment d'interdire la location touristique des passoires thermiques, pour s'aligner sur les règles progressivement applicables aux locations à l'année. Elle plaide également pour une "inversion de la fiscalité". Les loueurs de meublés touristiques classés (de 1 à 5 étoiles) bénéficient aujourd'hui d'un abattement forfaitaire de 71%, contre 50% pour les meublés classiques.


"C'est aberrant qu'on paye moins d'impôts quand on loue son logement à des touristes que quand on le loue à des habitants à l'année."

Ian Brossat, maire adjoint à la mairie de Paris chargé du logement à franceinfo

Une partie des mesures portées par le collectif national citoyen fait écho à une proposition de loi transpartisane de régulation des locations touristiques, portée par le député Iñaki Echaniz (PS) et sa consœur Annaïg Le Meur (Renaissance). L'examen du texte à l'Assemblée, que les auteurs espéraient pour juin, a été reporté en conférence des présidents, après que des élus de la majorité l'ont jugé insuffisamment "abouti". Les porteurs de la proposition visent désormais une discussion en octobre, lors de la prochaine semaine dédiée à des textes transpartisans.

"Nous étions dans l'attente de cette proposition de loi", soupire Sophie Garcia, qui appelle le gouvernement à prendre "conscience de l'ampleur du phénomène". A l'occasion de la présentation des pistes de l'exécutif pour enrayer la crise du logement, début juin, la Première ministre s'est montrée favorable à une refonte de la fiscalité sur les meublés touristiques. Un chantier "complexe", selon elle, qui pourrait trouver sa place "dans le prochain projet de loi de finances", examiné à l'automne.

Le ministre du Logement, Olivier Klein, a par ailleurs assuré qu'un projet de loi serait présenté "à la rentrée" pour empêcher que des passoires thermiques soient louées en meublés de tourisme au lieu d'être rénovées. Mais à l'approche de la période estivale et du défilé des valises à roulettes dans les rues touristiques, ces annonces peinent à convaincre élus locaux et collectifs d'habitants. "On perd du temps", lâche Ian Brossat.

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